Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, en visite au Mémorial du génocide à Kigali, le 11 août 2022.
Kinshasa attendait d’Antony Blinken une condamnation claire du soutien apporté par le Rwanda aux rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Il ne l’aura pas obtenue. Le secrétaire d’Etat américain, qui termine, vendredi 12 août, sa tournée africaine à Kigali, a renvoyé dos à dos les autorités congolaises et rwandaises. « Il existe des rapports crédibles sur un soutien aux groupes armés par toutes les parties. (…) Il ne devrait pas y avoir de soutien venant des gouvernements ou des forces armées aux groupes comme le M23 et les FDLR », a-t-il déclaré, en référence aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe rebelle, initialement formé par d’anciens génocidaires rwandais.
Dans un rapport confidentiel diffusé une semaine avant la visite du secrétaire d’Etat américain en RDC, le groupe d’experts des Nations unies avait clairement pointé la responsabilité de Kigali dans des attaques contre des militaires congolais et accusé l’armée rwandaise d’avoir équipé et fourni des renforts aux insurgés du M23. La reprise des combats entre les rebelles et l’armée congolaise a déplacé près de 200 000 personnes dans le Nord-Kivu depuis le mois de mars, selon l’Unicef.
En visite dans la capitale congolaise, le 9 août, Antony Blinken avait donné foi aux conclusions des experts de l’ONU, assurant que les Etats-Unis étaient « très préoccupés par les informations crédibles selon lesquelles le Rwanda a soutenu le mouvement rebelle ». Le secrétaire d’Etat américain avait également appelé tous les pays à « respecter l’intégrité territoriale de leurs voisins ».
« Ce n’est pas suffisant »
« Nous avons senti une volonté de la part des Etats-Unis de faire quelque chose, mais ce n’est pas suffisant. Nous attendons des actions claires au sujet du M23, comme celles que les Etats-Unis avaient prises en 2013 », confie Fred Bauma, militant du mouvement citoyen congolais la Lucha, qui a rencontré Antony Blinken cette semaine.
Il y a dix ans, lors de la première insurrection du M23, Washington avait clairement appelé le Rwanda à cesser son soutien aux rebelles. Les Etats-Unis avaient également bloqué une aide militaire de 200 000 dollars (194 683 euros) à Kigali. Une décision suivie par l’Union européenne, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, qui avaient gelé des financements plus importants à destination du Rwanda.
« Le contexte est différent aujourd’hui, observe Jason Stearns, directeur du Groupe d’étude sur le Congo de l’Université de New York. Le M23 ne contrôle que la ville frontalière de Bunagana et quelques territoires, tandis qu’ils étaient allés jusqu’à Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, en 2013. » Pour le chercheur, les déclarations d’Antony Blinken apparaissent néanmoins clairement comme une « mise en garde » adressée au Rwanda et un message favorable à l’égard de Kinshasa, où c’était la première visite d’un secrétaire d’Etat américain depuis 2014. « Dans le cadre de ce que les Etats-Unis perçoivent comme une nouvelle compétition internationale avec la Russie et la Chine en Afrique, la République democratique du Congo, grande productrice de cuivre et de cobalt, est un enjeu important », rappelle-t-il.
Au Rwanda, le chef de la diplomatie américaine a fait part de « graves inquiétudes » au sujet du respect des droits humains. « Nous pensons que la criminalisation de la participation de certains individus à la politique et le harcèlement de ceux qui critiquent le gouvernement en place mettent en péril la paix, la stabilité et les succès futurs du pays », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue rwandais, Vincent Biruta.
Culpabilité américaine
Kigali est régulièrement accusé de réprimer la liberté d’expression et l’opposition, même au-delà de ses frontières. Des critiques qui trouvent davantage d’écho à Washington, principal bailleur du Rwanda, depuis l’arrestation et la condamnation en 2021 à vingt-cinq ans de prison pour terrorisme de Paul Rusesabagina. Ce résident américain, plus connu pour avoir sauvé un millier de Tutsi lors du génocide de 1994, un épisode qui a inspiré le film hollywoodien Hotel Rwanda, a rejoint les rangs de l’opposition à Paul Kagame. Kigali lui reproche d’avoir fondé le Front de libération nationale (FLN), un groupe armé accusé d’avoir mené des attaques meurtrières au Rwanda en 2018 et 2019.
Depuis le mois de mai, le département d’Etat américain le considère comme injustement emprisonné. Fin juillet, son cas a été évoqué dans une lettre du président du comité des affaires étrangères du Sénat adressée à Antony Blinken. L’élu démocrate Robert Menendez y demande une révision complète de la politique d’aide des Etats-Unis vis-à-vis du Rwanda et annonce sa volonté de s’opposer à un financement de plusieurs millions de dollars destiné aux casques bleus rwandais, craignant qu’un soutien à l’armée rwandaise, accusée d’être déployée en RDC et de soutenir la rébellion du M23, « ne laisse entendre que les Etats-Unis approuvent de telles actions ».
Le sort de Paul Rusesabagina était au menu de la visite d’Anthony Blinken. Mais à Kigali, le sujet crispe. « Il a été arrêté, jugé et condamné pour des crimes graves commis contre des citoyens rwandais. Nous demandons à nos partenaires de respecter nos lois et nos institutions », a réagi le ministre des affaires étrangères Vincent Biruta au terme de la rencontre avec son homologue.
Depuis 1994, les relations entre les Etats-Unis et le Rwanda ont toujours été à géométrie variable. Entre la culpabilité issue de l’inaction de l’administration Clinton pendant le génocide des Tutsi et les succès apparents du Rwanda en termes de développement, certaines personnalités politiques comme Susan Rice, l’ancienne ambassadrice américaine aux Nations unies et conseillère à la sécurité nationale de Barack Obama, ont longtemps été des soutiens forts de Kigali.
Source : Le Monde
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