Le président tunisien Kaïs Saïed à l’ouverture du sommet arabe à Alger, le 1er novembre 2022 (photo d’illustration). © AFP/service de presse de la présidence tunisienne

Tout a commencé en début de semaine. « Lundi, rapporte le site tunisien Webdoune campagne sécuritaire a été lancée pour contrôler les sans-papiers ou les personnes en situation irrégulière en Tunisie avec de nombreuses arrestations à la clé. Mardi soir, le président de la République, Kais Saïed, a présidé une réunion du Conseil supérieur de la sécurité nationale axée sur l’immigration irrégulière des Subsahariens en Tunisie et sur les moyens de lutter contre ce phénomène. « Il y a un dessein criminel préparé depuis le début de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie », a déclaré le président tunisien, ajoutant que « certaines parties ont reçu de grosses sommes d’argent après 2011, afin d’installer en Tunisie les migrants irréguliers subsahariens ». L’objectif, selon lui, rapporte encore Webdo, c’est « qu’à travers ces vagues successives d’immigration irrégulière, on cherche à transformer la Tunisie en un pays purement africain qui n’appartiendrait plus au monde arabo-musulman ». »

Sur des chapeaux de roues

Résultat : le 22 février au matin, la vague de contrôle et d’arrestations s’est poursuivie. « Une campagne de poursuite des clandestins subsahariens qui a démarré sur des chapeaux de roues », s’exclame le site Tunisie Numérique. « Le top a été donné à Kasserine, où les forces de l’ordre se sont déployées en autant de patrouilles opérant des rafles sur les subsahariens. Nombreuses ont été les arrestations, notamment dans la gare routière de la ville. […] Il semble que la saison de la chasse soit bel et bien ouverte dans toutes les régions. »

En effet, insiste Le Point Afrique : « Arrestations arbitraires et systématiques, agressions verbales racistes sur les médias et les réseaux sociaux, menaces d’expulsion : la situation devient invivable pour les migrants subsahariens présents en Tunisie. »

Source : Wingz

Un racisme affiché et décomplexé

Les propos du président tunisien et cette campagne d’arrestations de clandestins ont provoqué une vague d’indignation sur les réseaux sociaux et dans la presse. Les journaux tunisiens restent prudents mais certains sites en ligne, comme Business News, ne cachent pas leur colère : « Le racisme n’est pas une opinion, c’est un crime, s’exclame-t-il. […] Une campagne vise les Subsahariens. Un racisme affiché et décomplexé déferle sur nos écrans. Cette vague, des associations et des partis fascisants y ont contribué grandement, pointe Business News, profitant du racisme anti-noir profondément enraciné dans la société tunisienne afin de diffuser le plus largement possible une absurde théorie du complot et une version locale du Grand remplacement. […] Et au nom de la Tunisie et de tous les Tunisiens, le président Kais Saïed s’est permis de reprendre tous les codes et les éléments de langage de la théorie du complot […]. En 2018, la Tunisie a pourtant été le premier pays de la région à promulguer une loi qui pénalise la discrimination raciale, rappelle Business News. Mais dans les faits, l’impunité la plus totale prévaut. »

En effet, complète Le Monde Afrique, « ces dernières semaines, la parole raciste et les discours de haine ont pris une ampleur nouvelle, encouragés par la montée du Parti nationaliste tunisien, une formation apparue récemment sur Internet et qui réclame l’expulsion des migrants subsahariens via une pétition en ligne. Le mouvement, qui ne comptait que quelques milliers d’abonnés sur sa page Facebook début janvier, en dénombre désormais plus de 50 000. Et ces idées semblent infuser ». Sur les réseaux et dans la presse : « Le journal Le Temps en langue arabe a consacré deux unes, en février, à la présence massive de ces étrangers en Tunisie. »

Boucs-émissaires ?

Enfin, Ledjely en Guinée s’indigne : « À l’image de tous les pseudo-leaders incapables d’honorer leurs engagements vis-à-vis de leurs compatriotes et face à la crise économique que le pays vit et aux nombreuses pénuries auxquelles les Tunisiens font face, le président Kais Saïed se sert des migrants subsahariens comme des boucs-émissaires. Pas suffisamment courageux pour assumer son échec, poursuit Ledjely, et ne mesurant pas tous les dangers auxquels il expose ceux qu’il jette ainsi en pâture, il emprunte le chemin réducteur et simpliste de l’instrumentalisation de la migration. De la part d’un chef de l’État dont le pays est quand même membre de l’Union africaine, c’est irresponsable. »

Source : Rfi